Créé(e) 16/09/2016 Mis à jour 30/03/2017

Les macroalgues marines ont développé plusieurs métabolismes originaux comme la biosynthèse du mannitol, la production de composés halogénés et la voie des phlorotannins particulière aux algues brunes pour répondre aux stress de leur environnement. Certains micro-organismes associés aux macroalgues se sont accommodés à ces contraintes pour pouvoir vivre à proximité de leur hôte. La compréhension des mécanismes de réponse et de tolérance aux stress biotique et abiotique passe par l'étude moléculaire des enzymes clés impliquées.

METABOLISME HALOGENE ET RÔLE DES VHPO

La production de composés halogénés a été largement décrite dans la littérature scientifique au cours des dernières décennies et peut constituer un moyen de défense efficace. Le métabolisme halogéné, en particulier celui de l’iode, a été étudié chez l’algue brune Laminaria digitata qui est capable de concentrer l’iode de l’eau de mer jusqu’à 100 000 fois sous la forme d’iodures et de le remobiliser sous la forme de diiode ou de composés carbonés iodés. Ainsi, les haloperoxydases à vanadium (VHPO), enzymes de l’halogénation, jouent un rôle prépondérant pour la production de ces composés et la réponse aux stress chez les macroalgues. Par ailleurs, ce type d’enzymes existe chez des bactéries marines associées aux algues comme Zobellia galactanivorans (Fournier et al., 2014) et leur rôle dans la détoxification des composés produits par les algues ou dans l'assimilation des halogènes reste à démontrer. Néanmoins cette convergence évolutive pourrait leur donner un avantage sélectif pour mieux cohabiter avec leur hôte comparé à d’autres bactéries.

   Structure 3D de la bromoperoxydase d'Ascophyllum nodosum (AnI)

Représentation du dimère (à gauche) et du monomère (à droite)

 

METABOLISME DES PHLOROTANNINS ET RÔLE DES PKS III

Décryptage de la voie de biosynthèse des phlorotannins

Depuis plusieurs années nous avons initié des travaux sur l’élucidation des voies de biosynthèse des polyphénols spécifiques des algues brunes et appelés phlorotannins. Ces molécules, polymères de phloroglucinol, sont des analogues structuraux des tannins rencontrés chez les plantes terrestres. Ils sont présents dans la paroi des algues et les protègent entre autres du rayonnement solaire. Des vésicules réfringentes caractéristiques pour le transport et le stockage de ces composés, appelées physodes, sont également présentes dans le cytoplasme des cellules. Ces phlorotannins ont été très étudiés au niveau chimique dans les années 80 mais les gènes impliqués dans la biosynthèse restaient jusqu’en 2013 inconnus. En se basant sur les données du génome de l’algue brune modèle, Ectocarpus siliculosus, publiées en 2010 (Cock et al., 2010), nous avons émis l'hypothèse de l’implication d’une polycétide synthase de type III (PKS III) pour la production de la brique moléculaire de base qu’est le phloroglucinol. Cette fonction enzymatique a été confirmée par expression hétérologue du gène EsiPKS1 chez Escherichia coli et a conduit à la résolution de sa structure (Meslet-Cladière et al., 2013). D'autres cibles de la voie de biosynthèse sont actuellement à l'étude.

                             Schéma de la biosynthèse des phlorotannins

Utilisation d'EsiPKS1 pour la production de phloroglucinol par voie biotechnologique

Une demande de brevet a été déposé conjointement entre le CNRS, l'UPMC et l'UBO concernant l'utilisation de cette enzyme EsiPKS1 pour la production de précurseurs phénoliques d’intérêt comme le phloroglucinol par voie biotechnologique. Cette valorisation (patent US20140315269) a débouché en 2015 sur un projet de maturation de 18 mois en partenariat avec la SATT Ouest Valorisation dont le but était d’optimiser la production de l’enzyme recombinante et la production de phloroglucinol et dérivés in vivo. Ce projet comportait également l’étude des mutants de cette PKS III pour la production d’autres molécules d’intérêt. Arrivé à échéance en juin dernier, ce projet a ouvert des pistes intéressantes dans le but de développer un procédé industriel à moyen terme. Agnès Morin, Ingénieure projet SATT de janvier 2015 à juin 2016.

                         

 

METABOLISME DU MANNITOL

Métabolisme du mannitol chez Ectocarpus siliculosus

Les algues brunes appartiennent à une lignée phylogénétique lointainement liée aux plantes et aux animaux terrestres. Elles se trouvent presque exclusivement dans la zone intertidale, un environnement rude et changeant fréquemment où les organismes sont soumis à des contraintes marines et terrestres. En conséquence, elles disposent de plusieurs particularités dans leur métabolisme primaire et secondaire. L'un d'eux est le cycle de mannitol, qui joue un rôle central dans la physiologie des algues brunes, car il représente l'une des voies utilisées pour stocker le carbone de photo-assimilation et intervient dans les processus osmoprotectant et antioxydant. Dans les algues brunes, la synthèse de mannitol implique la réduction directe du fructose-6-phosphate en mannitol-1-phosphate, et l'hydrolyse de l'ester phosphorique du mannitol-1-phosphate pour produire le mannitol (Iwamoto et Shiraiwa, 2005). Cette dernière étape catalysée par une mannitol-1-phosphate déshydrogénase (M1PDH; EC1.1.1.17) est également connue pour se produire dans certaines plantes (Grant et Rees, 1981; Rumpho et al, 1983). Cependant, on sait peu de choses sur ces voies au niveau moléculaire dans les deux types d'organismes. Grâce au séquençage et à l'annotation du génome de l’algue brune modèle Ectocarpus siliculosus (Cock et al, 2010 ; Michel et al, 2010), nous avons commencé à déchiffrer le métabolisme du mannitol dans cet organisme, en combinant l'analyse des activités endogènes, les études cinétique d'enzymes recombinantes et l'expression des gènes dans différentes conditions physiologiques (Rousvoal et al, 2011 ; Groisillier et al, 2014 ; Bonin et al, 2014). Ces résultats serviront à mettre en œuvre une approche de modélisation cinétique, afin de mieux comprendre le fonctionnement et l'importance du métabolisme du mannitol dans la physiologie des algues brunes. Les connaissances acquises chez les algues devraient également bénéficier aux recherches sur ce processus métabolique chez les végétaux terrestres.

                    

          Cycle du mannitol chez l’algue brune Ectocarpus siliculosus.