https://www.sb-roscoff.fr/fr/2018/12/03/mecanisme-biophysiquescellulaires-de-la-croissance-apicale-chez-l-algue-brune-ectocarpus
Paragraphes: 

Résumé:

La croissance apicale (CA) est un mode d’élongation cellulaire extrêmement polarisée, au cours duquel la croissance en surface n’a lieu qu’à un site réduit de la cellule. Elle a lieu dans de nombreux groupes taxonomiques, et représente donc un système idéal pour des études « évo-devo » des mécanismes fondamentaux de morphogenèse cellulaire sur tout l’arbre du vivant. Néanmoins, l’étude de la CA chez les eucaryotes s’est principalement concentrée sur les plantes terrestres et les champignons, laissant de côté les autres groupes. Pour combler ce déficit de connaissances, les macroalgues brunes sont particulièrement intéressantes du fait de leur histoire évolutive unique, des spécificités de leurs structures cellulaires et des conditions physiques de leur milieu, qui ont probablement résulté en l’acquisition de mécanismes de morphogenèse originaux. Au cours de ma thèse, j’ai entrepris de caractériser les mécanismes de la CA chez Ectocarpus sp., une espèce modèle pour les algues brunes. Pour cela, j’ai mesuré le patron du taux d’expansion de la paroi à l’apex des cellules apicales, ainsi que la pression de turgescence, la courbure de surface et l’épaisseur de paroi, afin d’alimenter un modèle viscoplastique de CA. Ce modèle a permis de prédire que le patron d’extension de la paroi dans la cellule apicale n’est pas contrôlé par un gradient de propriétés mécaniques de la paroi, mais par un gradient d’épaisseur de paroi. En outre, la mesure expérimentale de la déformabilité pariétale immédiate (principalement de nature élastique) a mis en évidence un gradient inverse de déformabilité mécanique, opposé à celui qui serait attendu si cette propriété contrôlait l’aptitude de la paroi à croître. Par ailleurs, si l’abondance globale en alginates, un composant majeur de la paroi des algues brunes, semble contrôler la rigidité de la paroi où le stress de tension est élevé, les blocs mannuronates semblent aussi importants que les blocs guluronates dans cette fonction. Enfin, nous avons montré que chez Ectocarpus, les filaments d’actine (FAs) sont indispensables pour restreindre la croissance pariétale dans le dôme apical, et donc dans la mise en place de la forme tubulaire dans la région subapicale. Le marquage fluorescent des FAs a montré l’existence d’une « coiffe apicale » sous le dôme, une structure commune à plusieurs autres groupes, qui apparait nécessaire pour le renforcement mécanique de la fine paroi à l’apex. Ces données suggèrent donc que les FAs pourraient contrôler le patron d’expansion de la paroi le long de la cellule en exerçant une influence directement mécanique sur la paroi cellulaire. Dans leur ensemble, les résultats obtenus au cours de cette thèse démontrent que les mécanismes biophysiques de la CA chez Ectocarpus sont radicalement différents de ceux rencontrés chez les plantes terrestres et les champignons. À l’avenir, ils permettront la caractérisation des mécanismes moléculaires contrôlant la CA chez les algues brunes, et ouvrent ainsi la voie à de futures études évo-devo de ce mode particulier de morphogenèse cellulaire.


Mots-clés : actine ; algues brunes ; biomécanique ; croissance apicale ; Ectocarpus ; paroi cellulaire

Jury:

- Pr Arezki Boudaoud, ENS Lyon, France, rapporteur
- Dr Siobhan Braybrook, University of California, Los Angeles, USA), rapporteur
- Dr Bénédicte Charrier CNRS, Station Biologique de Roscoff, UMR8227, France, directrice de thèse
- Pr Benedikt Kost, Friedrich Alexander University of Erlanen Nurnberg, Germany, examinateur
- Dr Bernard Kloareg, Sorbonne University, Station Biologique de Roscoff, France, examinateur
 

 

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Résumé
La croissance apicale (CA) est un mode d’élongation cellulaire extrêmement polarisée, au cours duquel la croissance en surface n’a lieu qu’à un site réduit de la cellule. Elle a lieu dans de nombreux groupes taxonomiques, et représente donc un système idéal pour des études « évo-devo » des mécanismes fondamentaux de morphogenèse cellulaire sur tout l’arbre du vivant. Néanmoins, l’étude de la CA chez les eucaryotes s’est principalement concentrée sur les plantes terrestres et les champignons, laissant de côté les autres groupes. Pour combler ce déficit de connaissances, les macroalgues brunes sont particulièrement intéressantes du fait de leur histoire évolutive unique, des spécificités de leurs structures cellulaires et des conditions physiques de leur milieu, qui ont probablement résulté en l’acquisition de mécanismes de morphogenèse originaux. Au cours de ma thèse, j’ai entrepris de caractériser les mécanismes de la CA chez Ectocarpus sp., une espèce modèle pour les algues brunes. Pour cela, j’ai mesuré le patron du taux d’expansion de la paroi à l’apex des cellules apicales, ainsi que la pression de turgescence, la courbure de surface et l’épaisseur de paroi, afin d’alimenter un modèle viscoplastique de CA. Ce modèle a permis de prédire que le patron d’extension de la paroi dans la cellule apicale n’est pas contrôlé par un gradient de propriétés mécaniques de la paroi, mais par un gradient d’épaisseur de paroi. En outre, la mesure expérimentale de la déformabilité pariétale immédiate (principalement de nature élastique) a mis en évidence un gradient inverse de déformabilité mécanique, opposé à celui qui serait attendu si cette propriété contrôlait l’aptitude de la paroi à croître. Par ailleurs, si l’abondance globale en alginates, un composant majeur de la paroi des algues brunes, semble contrôler la rigidité de la paroi où le stress de tension est élevé, les blocs mannuronates semblent aussi importants que les blocs guluronates dans cette fonction. Enfin, nous avons montré que chez Ectocarpus, les filaments d’actine (FAs) sont indispensables pour restreindre la croissance pariétale dans le dôme apical, et donc dans la mise en place de la forme tubulaire dans la région subapicale. Le marquage fluorescent des FAs a montré l’existence d’une « coiffe apicale » sous le dôme, une structure commune à plusieurs autres groupes, qui apparait nécessaire pour le renforcement mécanique de la fine paroi à l’apex. Ces données suggèrent donc que les FAs pourraient contrôler le patron d’expansion de la paroi le long de la cellule en exerçant une influence directement mécanique sur la paroi cellulaire. Dans leur ensemble, les résultats obtenus au cours de cette thèse démontrent que les mécanismes biophysiques de la CA chez Ectocarpus sont radicalement différents de ceux rencontrés chez les plantes terrestres et les champignons. À l’avenir, ils permettront la caractérisation des mécanismes moléculaires contrôlant la CA chez les algues brunes, et ouvrent ainsi la voie à de futures études évo-devo de ce mode particulier de morphogenèse cellulaire.
Mots-clés : actine ; algues brunes ; biomécanique ; croissance apicale ; Ectocarpus ; paroi cellulaire

Abstract:
Tip-growth (TG) is a universal mode of polarized cell elongation, during which the growth activity is restricted to the pole of the cell. Its wide taxonomic occurrence makes it an ideal model system for evo-devo studies of basic mechanisms of cell morphogenesis across the tree of life. Nevertheless, in eukaryotes, TG studies have mainly focused on land plants and True Fungi, leaving the over taxa largely underexplored. To fill in this knowledge gap, brown macroalgae are particularly appealing because of their unique evolutionary history, their particular cellular structures and their physical environment that have likely resulted in the acquisition of original morphogenetic mechanisms. During this thesis, I aimed to characterise the biophysical mechanisms of TG in Ectocarpus sp., a model species for brown algae. To do so, I measured the pattern of wall strain rate at the apex as well as the turgor pressure, the cell surface curvature and the wall thickness, in order to supply a viscoplastic model of TG with biological parameters. The model predicted that the wall expansion pattern in the apical cell is not determined by a gradient of wall intrinsic mechanical properties, but instead by a gradient of wall thickness. Moreover, experimental measurements of immediate wall deformability (mainly elastic) evidenced an inverted gradient of wall deformability, opposite to that expected if this property was to control the ability of the wall to expand. While the global abundance in alginates, a major component of the wall, seems to impact the wall stiffness where the stress is high, both mannuronate and guluronate blocks appeared necessary for this function. Finally, we have demonstrated that in Ectocarpus, the actin filaments (AFs) are also indispensable to restrict growth at the apical tip and so in the establishment of the tubular shape in the subapical region. Fluorescent staining of AFs showed an “apical cap” under the dome, a structure common to several other groups, that seems involved in mechanically reinforcing the thin wall at the tip. These data suggest that AFs could control the wall strain pattern along the apical cell by exerting a direct mechanical influence on the wall. Overall, the results obtained during my PhD demonstrate that the biophysical mechanism of TG in Ectocarpus is radically different from that found in land plants and fungi. They pave the way for uncovering the molecular pathways that regulate TG in this group, and thus for future promising evo-devo studies of this particular mode of cellular morphogenesis.

Key-words: actin ; biomechanics; brown algae; cell wall; Ectocarpus; tip-growth