Créé(e) 24/08/2020 Mis à jour 27/08/2020
23 aoû
2020
Conférence : Intérêt des algues marines pour l’agriculture de demain / dimanche 23 août à 15H à l' école de filles de Huelgoat

Conférence de Bernard Klorareg, professeur à Sorbonne Université et membre de l'académie des sciences

 

La conférence : Les algues marines, premières lignées végétales.

Je vais essayer de vous décrire en quelques minutes, l’origine et l’évolution des végétaux, en m’efforçant de simplifier des notions que j’ai l’habitude de présenter en quelques heures à mes étudiants.

Ce qu’il faut savoir c’est que tous les végétaux ont pour origine une symbiose entre un protiste, (un organisme unicellulaire non photosynthétique comme les ciliés ou les paramécies que vous avez peut-être élevées dans une infusion de foin et/ou observées en cours de SVT au collègue), et une cyanobactérie photosynthétique (cousine des Spirulines bleu-vert que vous mangez peut être aujourd’hui). Cette symbiose s’est produite il y a 3 milliards d’années environ. La cyanobactérie d’origine s’est progressivement transformée en chloroplaste, l’organe de la photosynthèse chez les végétaux, tandis que la partie non photosynthétique (animale en quelque sorte) a évolué pour donner naissance aux algues multicellulaires rouges et vertes, apparues il y a 1200 millions d’années. Les algues vertes ont ensuite donné naissance aux plantes terrestres, il y a 500 millions d’années environ. Les algues brunes sont apparues il y a 300 millions d’années, assez récemment donc à l’échelle de l’évolution, par le biais d’une deuxième symbiose entre un protiste et une algue rouge unicellulaire, qui était au départ une proie pour ce protiste.

Ce que nous a montré l’analyse des génomes des algues marines c’est deux choses :

       - 1. Tous les plastes, le siège de la photosynthèse dans la cellule végétale, ont la même origine évolutive, la cyanobactérie originelle ;

       - 2. Pour ce qui est des fonctions qui ne sont pas du ressort de la photosynthèse, les algues marines sont restées phylo-génétiquement plus apparentées aux animaux, marins ou même terrestres, que les plantes terrestres. Ceci est dû au fait que la colonisation des écosystèmes terrestres a demandé aux plantes de beaucoup innover sur le plan génétique, d’où une forte dérive liée à la différence entre les environnements marins et les environnements terrestres.

Laissez-moi prendre un exemple pour illustrer ce dernier point. Les algues marines secrètent en abondance des macromolécules sucrées sulfatées. Ces polysaccharides sulfatés sont à l’origine des fortes émissions d’hydrogène sulfuré (H2S), responsables de la toxicité des algues d’échouage lorsque celles-ci fermentent en milieu sans oxygène, lors de marées vertes, rouges ou brunes par exemple. Il se trouve que les plantes terrestres sont dépourvues de polysaccharides sulfatés. Ceci est dû au fait que le milieu marin renferme des concentrations élevées en ions sulfate tandis que les lacs, les rivières ou les eaux interstitielles des sols en sont virtuellement dépourvues. Les plantes terrestres ont donc perdu tous les gènes responsables de la fixation ou de l’élimination de groupements sulfate sur les macromolécules sucrées. Ceci a des conséquences importantes sur la composition de l’abondante gangue polysaccharidique qui entoure les cellules chez les organismes pluricellulaires, que l’on appelle la matrice extracellulaire. Je vais y revenir tout de suite parce que la matrice extracellulaire est le siège de l’immunité innée, que ce soit chez les algues, les plantes ou les animaux.

Je voudrais que vous reteniez deux choses de cette première partie de mon propos :

- 1. En termes de biodiversité générale, il y a trois lignées végétales majeures dans le milieu marin, les algues rouges, les algues vertes et les algues brunes, et une seule dans le milieu terrestre, les plantes.

- 2. La composition des environnements marins, pour l’essentiel des milieux aquatiques et salés, est très différente des environnements terrestres, pour l’essentiel des sols. La composition biomoléculaire des plantes agronomiques terrestres est donc très différente de celle des algues marines.

 

Propriétés immuno-stimulantes des biomolécules des algues. Applications en nutrition-santé animale et végétale.

Je reviens donc sur les questions d’immunité innée dans les lignées animales et végétales. Notre laboratoire s’intéresse à ces questions depuis plus d’une trentaine d’années. A l’époque, nous avions été contactés par les Laboratoires Goëmar, aujourd’hui UPL (un groupe Indien), qui produisait des extraits d’algues brunes en tant que biostimulants pour les cultures, et observait des effets bénéfiques sur la résistance des plantes aux maladies. Nous nous sommes donc posé la question de savoir quels étaient les principes actifs de ces spécialités. En particulier nous nous demandions s’il pouvait s’agir de stimulateurs des défenses naturelles des plantes. Après quelques tâtonnements, nous avons identifié sur le modèle tabac deux molécules capables de conférer une résistance à la bactérie Erwinia chrysantemi, la laminarine et le fucoïdane, qui sont respectivement des homologues structuraux de composés de la matrice extracellulaire des champignons et des bactéries phytopathogènes. Ces recherches ont abouti, en 2005, à l’homologation par la Commission Européenne d’un premier stimulant des réactions de défenses naturelles des plantes, actif sur le blé et l’orge.

Plus récemment, dans le cadre d’un programme financé par la BPI et coordonné par les entreprises Prince de Bretagne et Olmix, nous avons montré que la laminarine et divers polysaccharides sulfatés extraits des algues rouges, vertes ou brunes ont des propriétés d’immuno-stimulation in vivo sur la truite arc-en-ciel, le poulet et le porc.

Nous savons aujourd’hui que la matrice extracellulaire est le premier compartiment cellulaire qui permet la détection du non soi. Les mécanismes impliqués sont la détection de motifs moléculaires qui proviennent soit de la dégradation de la matrice extracellulaire du pathogène, soit de la dégradation de la matrice de l’hôte.  Nous faisons l’hypothèse que de tels motifs moléculaires produits à partir de la matrice extracellulaire des algues marines, en particulier les molécules sucrées et sulfatées, sont reconnues par les récepteurs de l’immunité innée des autres grandes lignées du vivant, qu’il s’agisse de plantes, d’animaux ou même de l’homme. Enfin, des études récentes montrent que ces molécules ont également une bio-activité sur la flore intestinale et pourraient être utilisées en tant que compléments alimentaires.

On sait désormais que la flore intestinale, que l’on appelle aujourd’hui microbiote intestinal, est en lien direct avec la santé chez les animaux et l’homme. Certains fragments des alginates des laminaires exploitées sur nos côtes sont ainsi à la base d’un traitement prometteur contre la maladie d’Alzheimer en Chine.

En résumé, nous pensons que ces biomolécules peuvent constituer de nouveaux outils pour la protection des cultures ou pour la conduite des élevages et, demain, pour la santé humaine. Elles représentent une alternative à l’utilisation de pesticides ou d’antibiotiques, plus compatible avec la sécurité alimentaire. L’intérêt des algues marines en la matière est que, comme je l’ai indiqué précédemment, ce sont les seuls végétaux à renfermer des polysaccharides sulfatés et ceci en abondance. Les algues marines présentent donc très fort potentiel d’applications variées en nutrition-santé végétale, animale ou humaine, que ce soit sous forme directe, c’est-à-dire avec peu de transformation, ou sous forme de bio-actifs, qu’il faut préparer en tant que médicaments ou alicaments.

 

Quels sont les défis à relever pour inscrire ces bio-ressources dans l’agriculture de demain ?

Les principaux défis à relever sont de divers ordres : sociétal d’abord, l’acceptabilité de nouvelles pratiques dans l’agro-alimentaire et chez le consommateur ; technologique ensuite, pour la transformation de ces matières premières, y compris jusqu’à des biomolécules très calibrées ; mais, surtout c’est la question de l’approvisionnement en algues marines qui est posée, sachant que la récolte à partir des populations naturelles comme nous le faisons aujourd’hui en Bretagne n’est pas durable.

Ces questions sont au centre de divers programmes d’envergure, en France et en Europe, qui sont tous coordonnés par mon collègue Philippe Potin, Directeur de recherche CNRS à la Station biologique. Le programme « Idéalg » tout d’abord, un Programme d’Investissement d’Avenir, dans la catégorie « Biotechnologies et Bioressources », qui s’est étendu sur 10 années, de 2012 à 2021. Un programme Européen ensuite, dans la catégorie « Croissance Bleue », intitulé GENIALG (2017 à 2021).

Ces recherches, qui toutes associent des chercheurs du secteur public et du secteur privé, ont pour objectifs :

  • de mettre au point la culture à grande échelle de diverses algues marines, à terre (Ulva rigida) ou en mer (Saccharina latissima), avec   la construction de pilotes de démonstration ;
  • de sélectionner des variétés améliorées pour leur croissance, leur composition ou leur résistance aux maladies, en s’appuyant sur les apports de la génomique des grandes algues marines et des bactéries qui leur sont associées ;
  • d‘optimiser les méthodes de fractionnement de la biomasse, en particulier en faisant appel à des biotechnologies enzymatiques, et de construire ainsi de véritables bio-raffineries capables d’utiliser la quasi-totalité de la matière première ;
  • d'anticiper les impacts économiques, sociaux, environnementaux et éthiques de ces développements, à l’échelle des écosystèmes et des autres activités maritimes, notamment l’ostréiculture, l’éolien off-shore, et, plus généralement la conservation de la biodiversité, la biosécurité et la compétition pour l'espace et les ressources en eau.

 

Ces financements publics et privés ont fortement contribué à accroître nos connaissances sur les algues marines. Je crois qu’il n’est pas faux de dire que, en ce qui concerne la recherche fondamentale et la recherche appliquée sur ces végétaux, la Station biologique de Roscoff exerce aujourd’hui une forte primauté au niveau européen, mais aussi au niveau international. J’en veux pour preuve les nombreux séjours scientifiques effectués dans nos murs par des de collègues japonais ou chinois, ainsi que les visites fréquentes de délégations en provenance du Japon, de Taiwan et de Corée. Pour ce qui est de la Corée du Sud, la Préfecture de Wando, le principal producteur d’algues et de coquillages dans ce pays, vient de signer un accord avec le Pays de Morlaix afin de jumeler nos parcs scientifiques visant à promouvoir le développement des bio-industries marines sur nos deux territoires.

Et puisqu’il s’agit de réfléchir ici à ce pourrait être l’agriculture de demain dans les régions maritimes, en Europe et dans le reste du monde, je veux vous faire part de nos projets sur la question de l’aquaculture des algues marines. La Llyod’s Register Fondation vient de confier à Philippe Potin la responsabilité de bâtir une alliance mondiale sur ce point. Cette fondation financée par une société de certification maritime bien connue veut s’engager dans le soutien à l’aquaculture des algues marines comme source d’alimentation et de solutions bio-sourcées pour assurer la sécurité alimentaire face aux enjeux climatiques et démographiques.  

Cette alliance mondiale, entre des organisations académiques, internationales, philanthropiques et des entreprises, va reposer sur quatre piliers, la Science, la Technologie, le Transfert de savoirs et la Communication. La coalition a pour objet de soutenir tous les aspects de la sûreté des cultures d’algues (alimentaire, environnementale et sécurité des travailleurs). Le budget de cette coalition serait de 3 M de £ sur 3 ans, afin d’initier la démarche puis de se servir de ce tremplin pour lever des investissements en recherche et développement au moins à hauteur de 10-15 M de £.

 

Conclusion : les atouts de la Bretagne pour porter cette filière.

En conclusion, ma vision des choses par rapport au sujet qui va faire l’objet de nos discussions est double. D’une part, le champ des bénéfices à tirer des bio-ressources algales est considérable, et ce dans de nombreux secteurs d’application, l’alimentation, la santé et le bien-être. Ainsi que j’ai essayé de vous en convaincre dans cette conférence, de nombreuses avancées dans la recherche scientifique ont été réalisées ces dernières années. Le futur me parait prometteur pour l’application de ces nouvelles connaissances, en agriculture, en élevage, en cosmétique et en nutrition humaine. Les entreprises qui se spécialisent dans la fourniture de produits fondés sur la matière algues marines devraient pouvoir y trouver de nouveaux marchés, si les consommateurs, les producteurs et les transformateurs de l’agro-alimentaire suivent. D’autre part, le principal verrou à lever pour le développement de cette filière est l’approvisionnement en matières premières. Pour l’instant, il n’y a guère qu’en Extrême Orient et en Asie du Sud-est que la culture des algues est pratiquée à grande échelle. Je pense que, impulsées par les nouveaux marchés à conquérir, ces pratiques peuvent se développer en Europe également, ce qui va générer dans changement importants dans les régions maritimes à l’interface Terre-Mer.

Enfin, je pense également que la Bretagne est très bien placée pour développer cette filière. En premier lieu, notre région peut s’appuyer sur des forces entrepreunariales dynamiques, tant dans le monde paysan que dans le monde maritime. Elle bénéficie également d’une bonne qualité physico-chimique et microbiologique de ses eaux côtières, qualité qu’il importera de préserver, ne serait-ce qu’en tant qu’atout vis-à-vis d’autres territoires dans le monde, structurellement plus exposés aux pollutions. Enfin, la Bretagne dispose de forces scientifiques très grandes, aussi bien dans le domaine de l’agronomie et de la santé que dans celui des sciences marines. Il nous faut maintenant fédérer toutes ces forces pour réussir l’agriculture de demain.

 

 

 

Bernard Kloareg, 66 ans, est Professeur de biologie à Sorbonne Université et Membre correspondant de l’Académie des Sciences.

Formé à l’Institut national agronomique de Paris-Grignon (1973-1976), il intègre le CNRS en 1978 puis rejoint l’Université Pierre et Marie Curie en 2012. Ses recherches portent sur la biochimie et la génomique des algues marines, les bases de l’immunité innée et l’évolution des eucaryotes. Il s’intéresse également aux applications des biomolécules extraites des algues à la protection des cultures et à celle des animaux d’élevage.  

De 2004 à 2018, il a dirigé la Station biologique de Roscoff (SBR, CNRS et Sorbonne Université, environ 300 personnes). La Station biologique a pour missions la recherche en biologie et écologie marines, l’enseignement et la diffusion de la culture scientifique, l’observation et le suivi à long terme du milieu littoral. Le laboratoire est chef de file en Europe sur la génomique et la post-génomique des organismes et des écosystèmes marins.

Depuis 2011, Bernard Kloareg coordonne le Centre National de Ressources Biologiques Marines, une Infrastructure Nationale en Biologie et Santé, qui réunit les stations marines de Roscoff, Banyuls et Villefranche-sur-Mer (2011-2025). Cette infrastructure est la participation française à une infrastructure Européenne, EMBRC (2018-2040), considérée comme stratégique pour la recherche européenne en biologie et écologie maries.

En 2020, Bernard Kloareg a pris la co-présidence de l’association « Merci les algues », avec pour objectif de faire connaître les avancées de la recherche scientifique sur ces végétaux ainsi que les bénéfices à en tirer dans l’alimentation, la santé animale et végétale, et le bien-être.

 

Le conférencier / Bernard Kloareg, 66 ans, est Professeur de biologie à Sorbonne Université et Membre correspondant de l’Académie des Sciences.

Formé à l’Institut national agronomique de Paris-Grignon (1973-1976), il intègre le CNRS en 1978 puis rejoint l’Université Pierre et Marie Curie en 2012. Ses recherches portent sur la biochimie et la génomique des algues marines, les bases de l’immunité innée et l’évolution des eucaryotes. Il s’intéresse également aux applications des biomolécules extraites des algues à la protection des cultures et à celle des animaux d’élevage.  

De 2004 à 2018, il a dirigé la Station biologique de Roscoff (SBR, CNRS et Sorbonne Université, environ 300 personnes). La Station biologique a pour missions la recherche en biologie et écologie marines, l’enseignement et la diffusion de la culture scientifique, l’observation et le suivi à long terme du milieu littoral. Le laboratoire est chef de file en Europe sur la génomique et la post-génomique des organismes et des écosystèmes marins.

Depuis 2011, Bernard Kloareg coordonne le Centre National de Ressources Biologiques Marines, une Infrastructure Nationale en Biologie et Santé, qui réunit les stations marines de Roscoff, Banyuls et Villefranche-sur-Mer (2011-2025). Cette infrastructure est la participation française à une infrastructure Européenne, EMBRC (2018-2040), considérée comme stratégique pour la recherche européenne en biologie et écologie maries.

En 2020, Bernard Kloareg a pris la co-présidence de l’association « Merci les algues », avec pour objectif de faire connaître les avancées de la recherche scientifique sur ces végétaux ainsi que les bénéfices à en tirer dans l’alimentation, la santé animale et végétale, et le bien-être.